Albin Michel Imaginaire : Peter, les lecteurs français ne vous connaissent pas. Pouvez-vous vous présenter ? D’où venez-vous ? Où vivez-vous aujourd’hui ? Que faisiez-vous avant d’écrire votre premier roman First and Only (Le seul et l’unique) ?
Peter A. Flannery : J’ai 54 ans et je vis dans les Marches écossaises (Scottish Borders) avec ma femme et deux fils. Je suis né en Angleterre, et j’ai très tôt voulu être un écrivain, même si je n’ai jamais vraiment cru que ce serait possible. Après le lycée je suis allé à l’université pour étudier l’art et le design, mais très mauvais élève je passais le plus clair de mon temps à lire des livres de fantasy ou à sécher les cours pour explorer la campagne environnante avec mes amis.
J’ai quitté l’université pour travailler dans l’industrie forestière, mais quelques années plus tard je suis tombé d’un arbre et me suis brisé le cou. Après avoir récupéré pendant quelques mois, j’ai commencé à travailler dans des centres de jardinage, mais mon diabolique pendant créatif a refusé de rester silencieux : après une année passée à voyager, je me suis fixé en tant que sculpteur, réalisant des modèles pour des jeux de guerre et de rôles. J’ai continué pendant de nombreuses années, mais toujours en écrivant durant mon temps libre.
En 1997 je suis parti à Édimbourg aider un cabinet de design pour le compte de Target Games. Cela m’a donné l’opportunité de passer de la sculpture à la rédaction et j’ai progressivement basculé de l’un à l’autre jusqu’à écrire tous les livres de base pour l’entreprise.
Le premier livre que j’ai réellement terminé était un roman de science-fiction fondé sur l’univers « Warzone » de la société. L’ouvrage s’intitule Dark Soul (Âme sombre) et actuellement j’en ai réécrit la moitié dans mon propre univers.
En 2006 je me suis installé dans les Marches écossaises (Scottish Borders) avec ma femme et mes deux fils, et c’est à ce moment que j’ai décidé de me focaliser sur mon écriture. En travaillant à temps partiel j’ai rédigé First and Only et, heureusement, il a connu un certain succès.
Aujourd’hui je vis dans un petit village de la charmante campagne écossaise. Je dirige le club d’astronomie local et à l’occasion je tire à l’arc dans mon arrière-jardin. Je suis un jardinier réticent, un maître incontesté de la vaiselle et un adepte enthousiaste des sciences populaires. Et je ne peux toujours pas croire que Donald Trump soit le président des Etats Unis !
AMI : De quoi parle First and Only ?
P.AF. : First and Only raconte l’histoire de la première personne au monde à « réellement » posséder des pouvoirs psychiques et du psychopathe qui va le tuer. C’est une idée à laquelle je pensais depuis de nombreuses années. Quand j’étais plus jeune je croyais fermement aux pouvoirs psychiques et à tout ce qui concerne le surnaturel. Cependant, plus je faisais de recherches, plus je trouvais que cela ne résistait pas à un examen poussé. Il y avait de nombreuses anecdotes et histoires mais rien qui ne puisse vraiment être être prouvé. A contrecœur, j’ai abouti à la conclusion que les véritables pouvoirs psychiques n’existaient pas, mais cela soulevait une question… Que se passerai-t-il s’ils devenaient réels ?
Et s’il y avait vraiment quelqu’un dans le monde qui pouvait lire les pensées, voir le futur et bouger les objets par la force de l’esprit ? Quel genre de personne serait-il ? Et comment se révélerait-il au monde ?
First and Only est un thriller psychologique qui va vite, mais la vraie force de ce livre repose sur l’amitié qui grandit entre les deux personnages principaux. Comme dans Mage de bataille, les thèmes principaux sont l’amitié, la foi et la lutte entre le bien et le mal. Je ne pense pas à la foi dans un sens religieux. Pour moi, la foi est la capacité à maintenir l’espoir face à une adversité accablante.
AMI : Votre premier roman a été adapté en film par Magnus Wake. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet ?
P.AF. : Tout a commencé quand Magnus m’a contacté via Twitter pour se renseigner sur les droits cinématographiques. Au début j’ai pensé qu’il plaisantait mais il est vite devenu évident qu’il était sérieux. A partir de là le projet a suivi son cours et le film est maintenant terminé (ce qui en ces temps difficiles est un exploit). Le fait de l’avoir fini témoigne de la volonté et de la détermination de Magnus.
J’étais occupé à écrire Mage de bataille donc je n’ai pas été fortement impliqué dans le projet. J’ai fait quelques apparitions pour la promotion et je suis allé à Édimbourg pour regarder une partie du tournage, mais j’ai décidé tôt de ce que je laisserais à Magnus pour qu’il puisse aller de l’avant sans que je regarde constamment par-dessus son épaule.
La post-production du film est maintenant achevée et il est en train de faire le circuit des agents, des festivals de cinéma et des diffuseurs. J’attends de le voir bientôt et il devrait être disponible plus tard cette année.
AMI : Mage de bataille est votre second roman, environ 700 pages en anglais, deux livres de 500 pages en France. Il a été auto-publié. Pourquoi ?
P.AF. : J’ai passé des mois à envoyer First and Only à divers agents et éditeurs uniquement pour finir avec une jolie collection de lettres de refus. C’était en 2011, l’auto-publication commençait à offrir de véritables opportunités, alors j’ai pensé que je pourrais essayer. J’ai appris le processus, publié le livre et après un départ lent, les ventes ont commencé à décoller. C’est passé de 5 livres vendus par mois à 18, 72, 200… 700…1500…
First and Only a dépassé les 50 000 exemplaires vendus, donc je savais qu’il était possible d’atteindre un certain succès en tant qu’auteur auto-publié. Je savais que si je remplissais ma part du contrat d’auteur avec Mage de bataille le public pourrait l’apprécier, et s’ils l’appréciaient il connaîtrait un honnête succès. Quand j’ai fini Mage de bataille j’en étais plutôt content donc je n’ai même pas pensé à l’envoyer à des éditeurs. Encore une fois, j’ai choisi de le faire de mon côté.
J’ai toujours eu un esprit indépendant et j’aime vraiment l’autonomie et le contrôle que possède un auteur auto-publié. Je sens un lien direct avec le lecteur et c’est pour moi la chose la plus importante. Je dois admettre que je suis plutôt intimidé par le monde de l’édition traditionnelle. Je n’ai jamais vraiment su comment approcher les agents ou les éditeurs et il y a toujours cette sensation qu’ils tiennent la clé de votre futur.
Les auteurs auto-publiés ont un grand contrôle sur leur œuvre et ils n’ont pas de contrat compliqué. Les lecteurs sont à la recherche de leur prochain coup de cœur littéraire ; une expérience qui se soldera par une grande aventure. Le travail de l’écrivain est de leur donner ce qu’ils attendent.
Cela étant dit, je pense qu’il est important de se souvenir que l’auto-publication n’est pas une garantie de succès. La plupart des auteurs auto-publiés vendent très peu de livres. Mais si suffisamment de personnes partagent leur enthousiasme pour votre livre, vous avez une chance de rencontrer le succès.
AMI : En ce moment, la plus grande partie de la fantasy que nous lisons présente des antihéros et sont très durs et sombres. Avec Mage de Bataille, avez-vous voulu consciemment revenir aux origines : le bien, le mal, un héros ?
P.AF. : Oui, j’ai absolument voulu revenir aux origines du genre. Je savais que j’écrivais un très habituel « récit d’initiation », mais j’étais déterminé à en faire un des meilleurs exemples de sa catégorie. Chaque genre atteint un point de saturation, quand la même histoire a été racontée si souvent que les gens commencent à chercher quelque chose de différent… ajoutons des machines à vapeur, déroulons l’histoire dans un monde post apocalyptique, faisons des orcs les gentils…
Il n’y a rien de mal dans tout ça, mais en essayant d’être différent les gens oublient parfois l’importance de l’histoire et des relations entre les personnages. Ce sont les deux éléments les plus importants dans chaque livre, dans chaque récit.
Donc pour moi le défi était d’écrire une histoire classique, archétypale, mais de la rendre d’une certaine manière originale, de le faire avec ma propre vision et ma propre passion. Et j’ai honnêtement senti que si je pouvais y arriver de façon compétente les gens l’apprécieraient, en dépit du fait qu’ils avaient lu la même « histoire » une centaine de fois auparavant.
On a tous mangé beaucoup de pizza, mais on apprécie toujours quand quelqu’un apporte une pizza juste comme il faut.
AMI : Hell is coming, les méchants sont des démons. C’est une vision de la fantasy très chrétienne. Nous savons tous que le Seigneur des Anneaux est une série empreinte de catholicisme. Y-a-t-il un lien, une sorte d’hommage ?
P.AF. : J’ai beaucoup été inspiré par le Seigneur des Anneaux et oui, il y a un lien, mais seulement par la présence du combat du bien contre le mal.
En tant qu’enfant notre vision des gentils et des méchants est extrêmement naïve. Nous pensons à nos soldats comme les gentils et à l’ennemi comme les méchants. Mais dans la vraie vie ce n’est pas si simple. La plupart des guerres sont des luttes entre des gens ordinaires qui se sont retrouvés à combattre dans différents camps.
Dans Mage de Bataille, je ne voulais pas que les antagonistes appartiennent à une autre partie de l’humanité. Je voulais qu’ils soient l’incarnation même du mal. C’est seulement de cette façon que je pouvais les détruire de manière justifiée. Même comme cela, j’ai pris soin de souligner que ceux qui étaient tombés sous la coupe des Possédés n’étaient pas à blâmer. Ils n’étaient pas malfaisants, juste des victimes. Des gens qui avaient été emportés par le mal.
Certes, il y a indéniablement des aspects de l’enfer chrétien dans Mage de Bataille, mais la majeure partie de notre vision moderne de l’enfer vient de la Divine comédie de Dante, et les cornes, les pattes de chèvre et sabots fendus sont tirés du symbolisme païen et non de références chrétiennes.
Mais la différence la plus importante concerne le pêché. Dans Mage de Bataille les gens ne sont pas envoyés en enfer parce qu’ils ont fait quelque chose de mal. Ils sont les victimes de créatures d’un autre plan d’existence.
Dans Mage de Bataille les notions de religion sont vagues et j’ai fait attention à éviter toute allusion à un créateur. Certains ont émis des objections à propos du fait qu’aucune force du « bien » ne compensait le mal, mais je ne suis pas d’accord. La malfaisance des Possédés est contrebalancée par le pouvoir de la bonté humaine.
Dans la vraie vie, il peut être difficile d’avoir foi dans la bienveillance quand il y a tant de violence et de souffrance dans le monde. Je le vois comme le défi de Mage de Bataille de chacun de nous. Garder la foi. Croire en l’espoir et en la bonté, même face à toutes les mauvaises choses qui arrivent dans le monde.
AMI : Quand on lit Mage de Bataille, on est immédiatement touché par Falco Danté. C’est un personnage très intense. Comment l’avez-vous construit ? Son passé ? Ses objectifs ?
P.AF. : En un sens ça a commencé avec son nom. Mentionnez le nom de Dante et de nombreuses personnes penseront naturellement à l’Enfer de Dante. Donc le nom lui-même amène les gens à penser qu’à un moment Falco va exploser de rage. Mais je pense aussi que Falco paraît si intense en raison de la relation entre sa force et sa vulnérabilité. Ces éléments se nourrissent les uns des autres, donc plus il souffre plus il devient fort. Et plus il devient fort plus la responsabilité qu’il doit supporter augmente.
J’ai essayé de confronter ce personnage à une série d’émotions intenses. Cela signifie que ses décisions et ses actes ont plus d’impact. Quand Falco descend aider Siméon dans les montagnes, le lecteur sent l’émotion parce qu’il sait ce qu’il y a derrière. Et plus tard dans le livre quand Meredith dit « Siméon ne savait pas. » On sent la tristesse désespérée de cette phrase parce que les événements qui y ont mené sont chargés de tant d’émotion.
C’est une vieille tradition narrative de faire mourir les parents du héros. Pensez à Conan, Luke Skywalker, Harry Potter et Batman…
La mort des parents est un puissant motivateur. Cela nous aide à sympathiser avec le personnage mais c’est aussi nécessaire parce que l’enfant a besoin d’assumer ses responsabilités et de prendre le contrôle de sa propre destinée.
Le passé de Falco contribue à sa force, mais il définit aussi ses objectifs. Il ne veut « pas renverser les Thaumaturges », il veut trouver la vérité à propos de son père. Il ne veut pas « vaincre l’ennemi » en tant que tel, ce qu’il désire vraiment c’est sauver ses amis. Ses motivations sont saines et il est donc moins sensible à la corruption, moins vulnérable aux attaques de l’adversaire.
Comme il est dit pendant le Rituel d’Assay…
« Vous ne pouvez pas vaincre un mage de bataille en lui rappelant les choses qu’il aime. Vous pouvez le tourmenter et le faire souffrir mais leur souvenir ne fera que le rendre plus fort. »
AMI : Les dragons sont au centre de votre roman. Pourquoi ?
P.AF. : Certaines images de notre héritage culturel résonnent plus fort que d’autres. Si on pense à des armes, il n’y a rien qui résonne plus fort qu’une épée. Peu importe qu’il s’agisse d’Excalibur ou de l’ancien katana d’un seigneur de guerre japonais. Dans de nombreuses cultures, la représentation de l’épée règne en maître.
C’est la même chose avec les dragons. Ce sont tout simplement les créatures les plus cool qui soient ! Et pourtant il n’y en a pas deux descriptions identiques. Dans certains récits, ce sont d’immenses léviathans qui peuvent dévaster des cités d’un seul mouvement de leur queue. A mes yeux, il était essentiel que mes dragons paraissent réels. Je les voulais impressionnants, mais les rendre trop puissants aurait déséquilibré de nombreux éléments de l’histoire. J’ai donc fait attention à garder un équilibre entre les dragons et les démons. Le pouvoir des combattants de Mage de bataille provient de la force de leur volonté, pas de leurs dimensions.
Je désirais que mes dragons possèdent la présence physique d’un immense tigre, l’esprit d’un philosophe et l’âme d’un chevalier. Et finalement je voulais qu’ils soient capables de communiquer sans leur donner des voix humaines insipides. Mes dragons communiquent par le langage du corps et le transfert télépathique d’images et d’émotions.
Mais plus important… mes dragons sont super cool ! 🙂
AMI : On compte plus de 1000 critiques à propos de votre roman sur Amazon.com, avec 4,8 étoiles sur 5. Mage de bataille est un grand succès populaire. C’est merveilleux, mais c’est peut être difficile à gérer, non ?
P.AF. : En tant qu’écrivain la chose dont vous avez le plus envie c’est que les gens apprécient votre livre, donc c’est absolument incroyable de voir qu’autant de personnes ont eu du plaisir à lire Mage de Bataille. De fait, un grand nombre des critiques et mails m’ont littéralement ému aux larmes et je sens une profonde connexion avec ces gens que je n’ai jamais rencontrés.
Un des aspects négatifs du succès c’est qu’il augmente les attentes des gens. Plus on reçoit de bonnes critiques plus leurs espoirs sont hauts, donc cela accroît les risques d’obtenir une réaction négative. Heureusement Mage de Bataille a été écrit de telle manière que la plupart des lecteurs seront néanmoins surpris par ce qu’ils trouveront, même si l’histoire en elle-même leur paraîtra sans doute familière.
Il y a également des questions sur ce qui pourrait suivre. Les lecteurs me demandent souvent une suite ou une série et c’est une pression que je n’avais pas anticipé. Évidemment, j’ai des idées sur la façon dont l’histoire pourrait progresser, mais Mage de bataille a toujours été conçu comme un livre indépendant.
On peut tous penser à des titres dont la qualité a chuté quand l’auteur a signé un contrat pour six livres. Les écrivains ont besoin d’écrire ce sur quoi porte leur inspiration, donc je n’écrirais jamais de suite pour capitaliser sur le succès de Mage de Bataille. Je pourrais bien envisager une suite à un moment mais je le ferai seulement si je suis convaincu que l’histoire est assez forte.
AMI :Pouvez-vous nous dire sur quoi vous travaillez actuellement ?
P.AF. : Je suis actuellement en train de travailler sur un nouveau projet de fantasy, mais j’en suis vraiment qu’aux prémices donc pour l’instant je préfère garder les détails pour moi. Je dispose d’une série de fantasy pour enfant que j’aimerais voir illustrée un jour et de mon premier roman, Dark Soul, qui est à moitié réécrit. J’ai un dossier avec de nombreuses idées et concepts de livre, mais je me concentre en ce moment sur mon nouveau récit de fantasy.
Malheureusement je suis quelqu’un qui écrit assez lentement, et cela a pris plus longtemps que je ne l’avais imaginé pour que mon esprit émerge de l’ombre projetée par Mage de Bataille. Les personnages de cette histoire étaient assez forts et ils en sont venus à paraître très réels. Il a fallu du temps avant qu’ils ne deviennent suffisamment silencieux pour que je puisse entendre la voix de mes nouveaux personnages. Mais lentement le nouveau casting prend forme. C’est un processus très étrange et je suis convaincu que la majeure partie du travail dans l’écriture d’un livre est réalisée par l’inconscient.
J’aimerais souvent être un de ces écrivains chanceux qui peuvent simplement s’asseoir et écrire des livres de qualité, mais dans mon cas cela prend du temps pour que le monde mûrisse et prenne vie. Mais soyez assurés que je place mes lecteurs au centre de mes préoccupations. J’écris mes livres pour eux et je ferai de mon mieux pour leur donner une expérience de lecture satisfaisante.
Interview réalisée en juin 2018 par Gilles Dumay ; traduction française Anaïs Rubis.
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Je ne pensais pas être client de ce roman, mais l’enthousiasme de l’auteur (et la gentillesse qui transparaît dans l’entretien) m’a convaincu de regarder cette sortie plus attentivement.
De plus vendre autant en s’étant auto-publié c’est assez extraordinaire. 50 000 exemplaires ça ne doit pas être des chiffres courants dans le secteur de l’auto-édition ?
En tout cas merci pour l’interview, Peter A. Flannery gagne a être connu !