//

Albin Michel Imaginaire : Salomé Han, Le Sabre de neige est votre premier roman. Par conséquent, les lectrices et les lecteurs ne vous connaissent pas. Pouvez-vous vous présenter ?

Salomé Han : Allez c’est parti ! Je m’appelle Salomé Han (prononcez le H) et je vis à Séoul, en Corée du Sud, depuis bientôt dix ans.
Mais en fait je suis née à l’autre bout du monde, sur une minuscule île des Antilles françaises, Saint-Martin. Une île moitié française moitié néerlandaise, où les avions passent au ras des têtes des touristes sur la plage et déclenchent des tempêtes de sable…
Très tôt, je me suis réfugiée dans la lecture pour fuir mes problèmes familiaux. Et puis, un peu comme une manière de reprendre le contrôle, j’ai commencé à écrire.
Je passais beaucoup de temps seule, à rêvasser en regardant l’horizon et à m’inventer des histoires. Souvent des épopées sanglantes de pirates et des amours tragiques, tout ça avec trois cailloux et deux morceaux de bois flotté…
On peut donc dire que je suis un peu dans le cliché de celle qui « petite, rêvait de devenir écrivain ».

Ensuite, vers l’adolescence, j’ai commencé à vouloir voir plus loin que l’horizon. Et surtout, je voulais partir faire des études qui permettent de « raconter des histoires ». C’est comme ça que je me suis intéressée aux formations de cinéma, et que j’ai décidé de quitter ma petite île pour la France.
Au début, mon but était de devenir scénariste. Après un Bac L et des études de cinéma à Paris tout en enchaînant des petits jobs, je me suis passionnée pour les cinémas d’Asie, notamment japonais et hongkongais. Et un jour, contre toute attente, c’est un thriller coréen qui m’a donné le déclic, l’envie de faire de la réalisation plutôt que de me cantonner au scénario. Ce film, c’était Memories of Murder de Bong Joonho. C’était absolument affreux car tiré d’une histoire de crimes en série véridique, mais la mise en scène m’a fascinée car ça n’avait rien de manichéen et que la psychologie des personnages était très intéressante.

AMI : Et donc après avoir vu ce film, vous décidez de partir étudier en Corée. C’est un très bon film, tout le monde sera d’accord là-dessus. Comment ça s’est passé concrètement ?

SH : C’est difficile à expliquer, car ça ressemble au fait de tomber amoureux/se. Ce pays m’a attrapée en plein vol à un moment où j’en avais besoin. Au fil de plusieurs séjours en Corée qui ont ponctué ma vingtaine, et surtout après un an de vacances travail en 2012, on peut dire que j’y ai « grandi ». Ce qui m’a plu : la langue, la culture, le cinéma, et puis les Coréens sans doute, dont on dit qu’ils sont les « latins » de l’Asie… Je pourrais énumérer autant de raisons d’aimer la France ou un autre pays, mais je ne sais pas, la Corée du Sud ça a été le coup de foudre. Je m’y sentais bizarrement comme à la maison, et j’avais envie d’y construire quelque chose. Je me sentais portée par un souffle, une énergie très dynamique et positive qui m’encourageait à aller de l’avant.

Après mon vacances-travail, j’ai réfléchi. Je voulais revenir en Corée avec un projet concret lié au cinéma. Et c’est ce que j’ai fait quatre ans plus tard, en 2016, après avoir pas mal économisé et m’être mieux préparée : je suis venue passer le concours de la Korean Academy of Films Arts (l’école où a aussi étudié Bong Joon-ho). C’était un peu fou de prétendre tenter cet examen ultra sélectif, en trois étapes et entièrement en coréen, incluant de l’analyse de films et de l’écriture de scénario en temps limité… mais c’était pour moi un vrai défi qui m’a transformée. Pour tout vous dire, je l’ai raté une première fois, à la 2e étape ! Mais je n’ai pas abandonné, j’ai continué d’étudier le coréen avec acharnement et j’ai de nouveau tenté l’examen l’année suivante, cette fois avec succès.

L’entrée dans cette école m’a plongée dans le milieu du cinéma coréen, qui est très compétitif, très intense, parfois presque militaire à cause de la hiérarchie des âges et des statuts. Même si, quelque part, ça a détruit une partie de ma naïveté… ça a aussi forgé mon mental et m’a enseigné une certaine forme d’endurance. Les Coréens connaissent la compétition depuis leur plus jeune âge (et l’expriment à travers des fictions comme Squid Game ^^), ils savent donc ce que sont l’endurance et la résilience. Avec eux, j’ai compris que quand on veut quelque chose, il faut faire les efforts adéquats et tout mettre en œuvre pour l’obtenir. Même si, forcément, les événements ne se passent pas toujours comme on l’avait prévu… au moins on s’est dépassé(e), renforcé(e), et on a appris quelque chose.

Voilà comment j’ai fini par m’installer dans ce pays, où je vis toujours actuellement 🙂

AMI : Quand avez-vous l’idée de vous lancer dans l’écriture d’une trilogie de fantasy  ? Et dans quelles circonstances ?

SH : Alors, à la base… Le Sabre de Neige était censé être un one shot.
En 2022, j’avais fomenté un plan – hautement machiavélique – visant à faire publier d’abord un one shot, pour mieux tenter de vendre plus tard ma grande épopée de fantasy en sept tomes que j’écrivais depuis l’adolescence (celle que tout le monde a sûrement au fond de ses tiroirs).
Pourtant, pendant l’écriture du Sabre de Neige, je me suis aperçue que cette histoire ne pouvait pas rester un one shot. Il peut toujours se lire comme tel, car il a sa propre fin, mais l’intrigue globale continue au travers d’autres personnages du même univers.

Quand on a été nourrie à la mythologie grecque, aux récits de cape et d’épée, à l’œuvre de Tolkien, puis aux longues séries de manga… on a tendance à vouloir explorer davantage les mondes sur l’on crée. Dans Le Sabre de Neige, plusieurs personnages secondaires qui n’étaient pas prévus du tout au départ se sont imposés à moi et m’ont montré que les sentiers par lesquels ils étaient venus devaient rejoindre une voie plus vaste pour composer un grand tout… De là est née l’envie – la nécessité même – d’écrire les tomes suivants, Le Sabre de Nuit et Le Sabre du Chaos.

Au début, j’appréhendais beaucoup l’envoi aux maisons d’édition car on dit que, pour un(e) primo-auteur.rice, débarquer avec une trilogie est un terrain glissant… mais j’ai quand même tenté, parce qu’il faut aller au bout de ses projets et leur donner leur chance. Et puis si le premier tome peut se lire comme un one shot, avec un point final à l’intrigue qui s’y déroule, ça aide quand même 🙂

Avec la SFFF, je me sens vraiment libre de créer, d’explorer, de réinventer. C’est ce qui m’a manqué dans le domaine audiovisuel, car autant j’adore le cinéma de genre, autant c’est celui qui coûte le plus cher à réaliser… En 2020, avec la pandémie, j’ai revu mes priorités et j’ai conclu que ce que je préfère au monde c’est écrire de l’imaginaire. Une personne très proche, qui me connaît depuis le lycée, m’a remise sur la bonne voie en me rappelant sévèrement que j’avais des romans en cours. Alors j’ai sorti mes projets de fantasy du tiroir et je me suis remise à écrire pour de bon.

AMI : Pourquoi ce Japon fantasmé et pas la Corée qui doit avoir aussi une mythologie et une histoire propices à la fantasy ?

SH : Avant de tomber amoureuse de la Corée, j’étais une ado fan de culture japonaise, des manga (à l’époque où c’était encore un truc de nerd) et des romans de Yukio Mishima. Je pratiquais aussi assidûment le kendo (escrime japonaise) dans un dojo à Paris.
J’avais un Japon fantasmé dans la tête, et j’ai sans doute écrit Le Sabre de Neige en hommage à celle que j’étais à l’époque, qui rêvait de katana, de yokai et de Voie du Sabre magique. Mais je l’ai écrit pour un public adulte, car c’est ce que je suis devenue entre-temps.

J’ai toujours aimé les sabres. Je suis quelqu’un de très visuel, j’aime la contemplation et je me passionne facilement pour l’aspect des objets. La lame, c’est un très bel objet, fascinant et dangereux à la fois. J’étais exaltée par les récits évoquant le sabre (notamment La Pierre et le Sabre d’Eiji Yoshikawa), et je ressentais tellement de sérénité quand je pratiquais le kendo que cette fascination m’est restée même des années plus tard.
À l’adolescence, j’avais écrit une nouvelle sur des samouraï, et j’ai repris cette idée en commençant à écrire Le Sabre de Neige. Mais le samouraï étant quelque chose de très codifié, je me sentais limitée dans ce que je voulais exprimer. Alors j’ai préféré appeler les pratiquants du sabre des kenshi et développer un monde qui s’inspire du Japon mais qui n’est pas du tout le Japon, ni historiquement ni géographiquement. (J’espère d’ailleurs que les férus du Japon ne m’en voudront pas trop et qu’ils se rappelleront que c’est de la fantasy.)

Concernant la Corée, bien évidemment j’ai déjà plusieurs histoires en cours dans mes fameux tiroirs à projets : thriller fantastique, urban fantasy, fantasy historique, etc… Je compte bien les aboutir un jour, après avoir complété la trilogie des Sabres Sacrés.

AMI : Beaucoup de lecteurs potentiels nous ont demandé si Le Sabre de neige était une romantasy. Quel est votre point de vue là-dessus ?

SH : Si Le Sabre de Neige est une romantasy, alors Le Trône de Fer en est une aussi !
Bon, plus sérieusement : je n’ai rien contre la romantasy, il m’arrive d’en lire parfois d’ailleurs (même si je suis difficile), mais Le Sabre de Neige n’en est pas, tout simplement parce que ce n’est pas de la romance.
Bien sûr, dans cette histoire il y a de l’amour et du désir, comme dans énormément d’autres récits de fantasy, épopées, mythes, etc.
L’amour sous toutes ses formes est quand même souvent le moteur des élans humains, des prises de décision, des conflits, des trahisons, etc.
Mais ce n’est pas parce que c’est un roman écrit par une autrice que c’est forcément de la romantasy.

AMI : Il y a un aspect central dans votre roman, aspect qui rappelle le parti-pris de Jean-Laurent Del Socorro sur Morgane Pendragon, dans votre Japon imaginaire toutes les sexualités semblent acceptées, allant de soi.

SH : Oui, c’est un aspect qui était évident pour moi car le LGBT normalisé est ce que je recherche aussi en tant que lectrice. Même si c’est très important de mettre en avant des récits qui montrent la lutte pour les droits LGBT, il me semble tout aussi nécessaire d’avoir des récits où c’est tout à fait intégré dans la société en question, car ces identités existent et ont toujours existé à travers les époques.

On oublie trop souvent, par exemple, que l’homosexualité masculine chez les samouraï et les moines dans le Japon féodal était même vue comme faisant partie du rituel d’apprentissage vers la « virilité », et que c’est l’influence occidentale qui en a fait quelque chose de tabou.

De plus, la fantasy est là pour nous permettre d’explorer toutes les sociétés possibles. Dans Le Sabre de Neige, je voulais avant tout que mes personnages soient libres de leurs désirs, qu’ils aient d’autres soucis à régler que de devoir faire accepter leur orientation sexuelle.

À travers les trois tomes des Sabres Sacrés, vous trouverez donc des relations décomplexées MM, FF, etc. Plus qu’un engagement, c’est aussi un goût personnel car, pour moi, décrire le désir est aussi important que de décrire une scène de combat.

AMI : Merci Salomé, on vous retrouve en librairie dès le 29 janvier.

//

0 Partages
Recevez notre newsletter

L'adresse email demandée sur ce formulaire est obligatoire afin de vous envoyer notre newsletter par email. Elle est collectée et destinée aux Editions Albin Michel. Conformément à la Loi Informatique et Libertés du 06/01/1978 modifiée et au Règlement (UE) 2016/679, vous disposez notamment d’un droit d’accès, de rectification et d’opposition aux informations qui vous concernent.

Vous pouvez exercer ces droits en nous contactant par le formulaire de contact, ou par courrier Editions Albin Michel - Département Albin Michel Imaginaire, 22 rue Huyghens – 75014 Paris.

Pour plus d’information, consultez notre politique de protection de vos données personnelles.

 
Protection de vos données
0 Partages
Partagez
Tweetez