Eva, ayant dévoré Les Etoiles sont Légion, avait beaucoup de questions à poser à Kameron Hurley… qui  y a répondu avec force de détails et sans mâcher ses mots. On n’en attendait pas moins de l’auteure de ce roman qui fait déjà bien parler de lui.
On vous laisse à leur échange portant sur l’écriture de cet ovni organique et les femmes brutales à qui il est dédié…


Bonjour Kameron, merci beaucoup d’avoir bien voulu répondre à quelques questions autour de votre premier roman traduit en français : Les Étoiles sont Légion ! En plus d’être une auteure prolifique, lauréate du prix Hugo, ce qui en dit déjà long, comment vous présenteriez-vous aux lecteurs français?

J’écris de la science-fiction gluante mâtinée de fantasy mettant en scène des technologies organiques, des plantes douées de conscience et des sociétés incroyablement différentes, généralement engluées dans des guerres assez crades, des rébellions ou des révolutions. J’ai gagné quelques prix Hugo, j’ai été nominée au prix Arthur C. Clarke et au Nebula, et à quelques prix internationaux ; j’en ai d’ailleurs même remporté quelques uns. J’en déduis que certaines personnes aiment ce que je fais ! J’écris aussi des articles et ait été publiée dans Popular Science Magazine, The Village Voice, LA Weekly, Locus Magazine, Bitch Magazine, pour ne citer que ceux-là.

Les Etoiles sont LegionQuand j’ai lu le résumé de ce roman, j’ai été intriguée par deux choses : le côté « space opera organique » et le fait que tous les personnages soient féminins. Ça m’a étonnée et je n’ai pas été déçue ! J’imagine que Les Étoiles sont Légion doit beaucoup à la science-fiction féministe des années 70 et au mouvement actuel de SF féministe et queer?

Un critique a dit que Les Étoiles sont Légion était un mix entre la science-fiction de l ‘âge d’or et la nouvelle vague féministe ; je pense que c’est une bonne description. Je me suis réellement mise à la science-fiction durant la période où est apparu le « new weird », avec des auteurs comme China Mieville, K.J. Bishop, Jeff VanderMeer, Steph Swainston et bien d’autres. J’aime ces mélanges de genres qui dégoulinent, où tout est un peu vivant, organique, en changement constant. J’adore construire des mondes ! Entraîner mes lecteurs dans un endroit vraiment singulier me botte tout particulièrement.

Ce livre est dédié aux “femmes brutales”. Comment est-ce que tu définirais cette brutalité? On imagine que ça ne se réduit pas à une question de guerre ou de violence!

Être une “femme brutale” dépasse clairement la notion de violence physique : c’est aussi une question de force morale. Je me réfère ici aux femmes qui se mobilisent pour leurs convictions, prennent la parole, osent rêver d’une autre existence, remettent en question l’autorité et n’ont pas peur d’être « vraiment pas sympas »… si ça leur permet d’être en accord avec leur nature profonde.

A propos de ce roman et ses personnages, comment s’est déroulé l’écriture de Les Étoiles sont Légion?

L’histoire a énormément évolué par rapport à son point de départ. Je savais que je voulais une épique saga familiale centrée autour de la notion de trahison, et qu’elle se déroulerait au cœur d’une légion de vaisseaux-mondes vivants et organiques. J’ai beaucoup été inspirée par un merveilleux livre de Melvin Burgess qui s’intitule Rouge sang. Il y est question de deux familles qui vont tenter, dans un monde post-apocalyptique, d’établir un lien entre elles et d’apporter la paix en mariant deux de leurs enfants. Inutile de préciser que le plan foire lamentablement et que l’histoire prend une tournure horrible. Je savais aussi qu’au sein d’un monde aussi bizarre que Légion il me faudrait trouver une astuce pour accompagner le lecteur. Alors, même si c’est un gros cliché, j’ai choisi de rendre une des narratrices amnésique. Ce trope permet de présenter au lecteur, en même temps, le personnage principal, l’environnement dans lequel il évolue et ses caractéristiques bien particulières. J’ai essayé de m’y prendre autrement, à plusieurs reprises, mais le coup de l’amnésie était de loin la façon la plus convaincante !

Dans le livre, la décrépitude des vaisseaux-mondes est nommée “cancer” mais quand je me suis mise à parler du livre autour de moi, j’ai réalisé que cela me faisait aussi penser au fonctionnement de l’endométriose… qu’en dis-tu?

Bien sûr, on peut le lire de cette façon. En ce qui concerne tout ce qui leur arrive, les personnages ont un vocabulaire très limité. Dans Les Étoiles sont Légion le lecteur en sait autant que les personnages mis en scène ; c’est une des choses que j’ai le plus appréciées en écrivant le roman. Dans ce cas précis, la narration à la première personne, à l’indicatif présent, était particulièrement adaptée : on découvre ce que l’héroïne découvre, en même temps qu’elle, et l’auteur peut utiliser d’autres personnages pour «balancer» facilement tout un tas d’infos qui alourdiraient une narration à la troisième personne. Pour les besoins de l’histoire «cancer» fonctionne. Quant à la nature réelle de ces cancers, je laisse volontiers le diagnostic au lecteur!

Je l’ai évoqué un peu plus tôt, il n’y a pas de personnage masculin dans ce roman. Il me semble d’ailleurs que la binarité de sexe ou de genre n’y a pas non plus de place. Est-ce la source d’une réflexion initiale – effacer une dualité non nécessaire à l’histoire – ou était-ce plutôt un drôle de pari en premier lieu?

Faire de tous mes personnages des femmes est venu assez tard dans la création. Plus je réfléchissais à cette flotte auto-répliquante de vaisseaux organiques qui pouvaient faire naître des pièces de rechange… plus il me semblait clair que toutes les créatures – y compris humaines – pouvaient y donner naissance. Puis j’ai demandé à des amis et camarades auteurs s’ils avaient en tête un roman où l’intégralité d’un monde serait habitée par des femmes. Ammonite de Nicola Griffith [inédit en français] s’en rapprochait le plus ; mais bien que ce roman ne mette en scène que des personnages féminins, il se déroule dans un univers où les hommes ne sont pas complètement inconnus (un des personnages a un fils sur Terre). Alors je me suis dit «merde, si personne ne l’a jamais fait, pourquoi pas moi ?» Ça avait du sens dans le contexte de Légion et je me suis dit que ça serait fun.

Ce roman est brutal, gore et violent, mais quelque part je crois qu’il apporte aussi beaucoup d’espoir et un sens du compagnonnage. Pas de façon édulcorée, mais dans une version adulte plutôt crue. Est-ce que c’est ce qui motive Zan: une volonté tenace de retrouver sa mémoire et, peut-être, de reconstruire l’espoir d’un meilleur avenir?

Le voyage de Zan est initiatique. Cependant on ne peut pas le réduire à la question “qui suis-je ?”, j’en ai ajouté une autre : “est ce que ce que celle que j’étais détermine celle que je suis et celle que je vais devenir” ? Alors que le récit est évidemment brutal et crado, je voulais explorer cette façon qu’ont les adultes de trouver de l’espoir, même quand ils réalisent à quel point leur monde est horrible ! C’est l’espoir qui nous fait avancer, l’espoir et la certitude qu’à chaque moment, à chaque décision que nous prenons nous pouvons infléchir le cours de notre vie, choisir une nouvelle direction.

Pour quiconque aurait aimé Les Étoiles sont légion, quel serait le prochain livre, jeu ou comics que tu leur recommanderais?

Mon prochain roman « The Light Brigade » est une sorte de Starship Troopers… dopé au voyage temporel. Il sort en anglais en mars 2019 (et en espagnol en octobre de la même année). J’ai aussi beaucoup apprécié un autre livre qui sort en 2019 Gideon the ninth (Gidéon le neuvième) de Tamsyn Muir, qui est une science-fantasy assez délurée à propos de lesbiennes nécromantes. C’est hyper fun !

 


Pour en savoir plus sur Les Étoiles sont Légion, en lire le premier chapitre,
ou savoir lequel de vos libraires préférés vous le propose dans l’immédiat : c’est par ici !

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