Albin Michel Imaginaire : La Fleur de Dieu est votre premier roman, le premier volet d’une trilogie de space opera (le tome 2 paraîtra à l’automne et le tome 3 début 2020) où il est beaucoup question de religions et de spiritualité. Les lecteurs français ne vous connaissent pas, pouvez-vous vous présenter?
Jean-Michel Ré :
Me présenter ? C’est toute une histoire…. du moins pour un féru d’histoires comme moi. Je suis né à Nice en 1973. J’ai vécu mes quinze premières années dans un petit village de l’arrière-pays niçois, Peillon. J’ai étudié dans un lycée agricole où j’ai obtenu un baccalauréat D’ (options sciences de l’agriculture) en 1990, puis dans les facultés de Lettres de Nice et de Aix-en-Provence où j’obtiens une maîtrise d’Histoire en 1994. Les grèves de 1995 constituent une des étapes essentielles de mon parcours au sens où, à partir de cette date, ma vie prend un autre chemin. Après de belles rencontres, l’échec aux concours de l’enseignement, des séjours dans des communautés libertaires, des travaux saisonniers dans l’agriculture, des expériences de vie collectives dans différents lieux, je me réfugie dans les Cévennes dans un hameau perdu, Mandajors, où je loue une ancienne école. C’est là que j’écris, à partir de fin 1999, les premières lignes de La Fleur de Dieu.
Sept ans plus tard, en 2006, avec ma compagne, Sabria, qui va devenir la mère de ma fille, je m’installe en Ardèche. La rencontre des bonnes et belles personnes m’amènent à trouver un poste en tant qu’assistant d’éducation, puis de professeur vacataire d’Histoire-Géographie. En même temps, j’obtiens après une formation pour adulte de un an, un BTSA Gestion et Maîtrise de l’Eau. En 2011, je pars au Togo pour participer en tant que bénévole à la création d’un jardin de plantes médicinales (je suis alors passionné par celles-ci et les pharmacopées traditionnelles) et à des cours d’alphabétisation. J’en profite pour aller au Burkina Faso, au Ghana, au Bénin. Cette parenthèse de plusieurs mois demeure une expérience enrichissante faite de belles rencontres et de projets enthousiasmants.
Je partage mon temps entre mon métier de papa, l’activité d’écriture, celle de professeur, et celle de producteur de plantes aromatiques et médicinales ainsi que de châtaignes.
En 2013, avec Sabria, en formation d’acupuncture et de médecine chinoise, nous soumettons un projet à la commune de St Vincent de Durfort qui vient de constituer une réserve foncière pour installer un agriculteur. Le projet BUSAB voit le jour et le bail est signé avec la commune en avril de la même année. L’idée est de créer un lieu de production et de transformation des plantes aromatiques et médicinales, d’accueil pédagogique, artistique, et de soins bien-être. Mais l’espoir est de donner lieu à l’utopie, de créer une de ces oasis où l’on trouve refuge, où l’on résiste. En même temps, j’ai l’opportunité de devenir professeur contractuel de Français Langue Étrangère. Depuis, j’ai l’impression de travailler dans la tour de Babel. Si eux apprennent, j’apprends aussi : des Roms qui connaissent une centaine de mots dans une dizaine de langues différentes, des mineurs isolés, souvent analphabètes, venus d’Afrique subsaharienne qui racontent le cauchemar vécu, mais portent pourtant en eux une lumière qui souvent rejaillit sur celles et ceux qui les côtoient, des réfugiés qui avec leur famille ont fui l’horreur de leur pays dévasté et sont reconnaissants de l’asile offert, des élèves en séjour linguistique qui passent l’équivalent du baccalauréat dans leur pays, parlent déjà cinq ou six langues.
En 2014, ce sont les premières réalisations du projet BUSAB, les élèves de l’école communale viennent planter des arbres pour constituer une haie qui protégera les parcelles cultivables. Puis les banques sollicitées refusent d’accorder un prêt, une campagne de crowdfunding parvient à récolter 3500 euros mais c’est insuffisant pour véritablement faire avancer le projet. Depuis, le BUSAB est en gestation. Ma fille, Aïna, nait en novembre 2014. Événement majeur dans ma vie. Elle est ce qui m’a permis de pouvoir enfin me projeter au-delà de mon propre horizon, dans l’espoir de la voir grandir et devenir.
À peu près vers la même époque, j’envoie le manuscrit du premier tome de La Fleur de Dieu à des maisons d’édition. J’ai plusieurs réponses mais celle de Gilles Dumay me fait rêver et même si je mets plus de deux ans à lui renvoyer le manuscrit corrigé, je décide de le suivre chez Albin Michel Imaginaire. Depuis, je partage mon temps entre mon métier de papa, l’activité d’écriture, celle de professeur, et celle de producteur de plantes aromatiques et médicinales ainsi que de châtaignes.
AMI : Comment décririez-vous ce premier roman ?
JMR : Ce premier roman représente plusieurs choses pour moi : – une réflexion personnelle commencée il y a des années et encore en gestation aujourd’hui sur le sens de l’existence, la place de l’Homme dans ce monde, les utopies et autres façons d’appréhender la vie ; un aboutissement parce que les personnages de ce livre m’habitent depuis tant de temps qu’en les livrant à la lecture, j’espère parvenir enfin à donner de l’écho à leur voix ; – un partage de valeurs, celles qui me paraissent essentielles : la solidarité organique, le respect de la Vie, l’imagination au pouvoir, l’insurrection permanente, la nécessité de donner le meilleur de nous-même, l’injonction à résister à la simplification et à promouvoir la complexité, la création d’oasis, de lieux, de moments d’utopie et d’expérimentation pour miter de l’intérieur le tissus écrasant et aveuglant du système uniforme et marchand, l’éducation qui vise à rendre autonome l’être et donne à chacun, chacune les moyens de faire advenir son devenir…… Maintenant, comment le décrire ? J’ai écrit le roman en trois tomes distincts qui correspondent chacun à trois moments différents de l’histoire, séparés du précédent par quelques jours. Les évènements sont vécus par différents personnages ce qui permet d’avoir plusieurs points de vue. Toute l’histoire s’articule autour de la Fleur de Dieu et de ses effets. Même si des circonstances attenantes viennent complexifier les enjeux. Les trajectoires personnelles des héros principaux comme celles des personnages secondaires, les grands traits qui dessinent l’univers du roman, les manœuvres de tous les personnages sont centrés sur les substances contenues dans cette fleur. Celles-ci deviennent l’enjeu d’intérêts conflictuels qui trouvent leur paroxysme dès les premiers évènements du tome 1 et mèneront le héros principal, maître Kobayashi, dans une quête initiatique.
AMI : La fleur de Dieu a une qualité qui me semble à double tranchant : c’est un roman de science-fiction « grand public » qui peut être lu par quelqu’un qui n’a jamais lu de science-fiction. Était-ce voulu ?
JMR : C’est difficile de répondre à cette question. Pourquoi d’abord un roman de SF ? Parce que j’ai toujours aimé me projeter dans le futur. Depuis mon adolescence, je rêvais de donner forme à ce qu’il y avait dans ma tête. À seize ans déjà, j’avais motivé un copain qui dessinait bien à agrémenter de dessins mon histoire de l’époque. Il y avait quatre races extraterrestres qu’il avait fidèlement représentées à partir des descriptions que je lui avais fournies. J’aurais aimé savoir dessiner mais ce sont les mots qui me sont venus. Et à dire vrai, en écrivant La Fleur de Dieu, je n’ai jamais pensé un jour être lu. De plus, je pense que l’on écrit, réalise une œuvre avant tout pour soi. Donc je ne peux pas dire que je l’ai écrit de manière à pouvoir être lu par le plus grand nombre. Par contre, les idées que j’y développe me semblent s’articuler autour d’un sens commun, de valeurs positives universelles dans lesquelles beaucoup, j’espère, vont se retrouver. Après, si la Fleur de Dieu, classé en SF, peut être lu par celles et ceux qui considèrent ce genre comme une partie mineure de la littérature, j’aurais participé à ma manière à la promotion de la SF comme prospective poétique et métaphysique. Enfin, il est dit, sans que je sache si c’est effectivement le cas, que les femmes ne lisent pas beaucoup de SF. Si La Fleur de Dieu est si « grand public » que ça, j’espère que, dans mon lectorat, la parité sera respectée Cela me paraît d’autant plus important que comme le livre de La Fleur de Dieu parle de l’avenir de l’Homme, il aborde nécessairement celui de la femme, et plus généralement celui de « l’Hemme ».
Les idées que je développe dans La Fleur de Dieu me semblent s’articuler autour d’un sens commun, de valeurs positives universelles dans lesquelles beaucoup, j’espère, vont se retrouver.
AMI : Il est beaucoup question de religion dans votre roman, de politique aussi, d’écologie, et de cette Fleur de Dieu qu’on ne trouve que sur une seule planète de l’empire : Sor Ivanya. Quand on liste tous ces éléments, on ne peut pas s’empêcher de penser à Dune de Frank Herbert. A quel point l’hommage est-il délibéré ?
JMR : Frank Herbert constitue pour moi une de mes références littéraires essentielles. Les circonstances de ma rencontre avec le cycle de Dune en sont certainement une des raisons : en 1990, en fin d’année de Terminale, une copine me parle du cycle de Dune et me prête les 7 tomes quinze jours avant les premières épreuves du baccalauréat. Je n’ai pas pu lâcher la lecture et ai ignoré les révisions. À tel point que j’ai lu les sept tomes durant ce délai et que à une épreuve orale de zoologie à laquelle je ne savais répondre, je me suis servi des connaissances en écologie développées par Herbert ce qui m’a permis, malgré le hors-sujet d’avoir 8/20 à cette épreuve et paradoxalement d’avoir mon bac. J’ai relu le cycle entier plusieurs fois depuis. Toutes ces œuvres d’ailleurs. La Fleur de Dieu est donc truffée de références à l’univers de Dune. Comme l’épice d’Herbert, on la trouve dans un désert, elle a plusieurs vertus, elle ouvre les perceptions…. Comme dans Dune, l’homme se promène seul dans un univers vide d’altérité…. Il y en a bien d’autres encore que les hommes et femmes passionnés de Dune reconnaitront peut-être. Mais au-delà de Dune, c’est toute l’œuvre de Frank Herbert que l’on peut retrouver dans La Fleur de Dieu où dans certains détails de ma vie. Le projet s’appelle BUSAB, acronyme de Biotope Utopique des Simples et des Aromates Biologiques, mais aussi référence directe au Bureau du Sabotage que Herbert décrit dans L’Étoile et le Fouet et dans Dosadi.
AMI : Il y a beaucoup d’humour dans votre roman, un humour « de péripéties » qui m’a fait penser à la trilogie originelle de La Guerre des étoiles ? D’ailleurs, dans La Fleur de Dieu, on retrouve un peu le cocktail qui a fait le succès de Star Wars : aventures galactiques, humour et spiritualité. Était-ce voulu ?
JMR : Pour l’humour, je n’ai pas cherché à en faire. Si dans mon écriture, des situations amènent à un peu d’humour, ce n’était pas une stratégie volontaire. Quant à Star Wars, il est sûr que les images de la trilogie ont alimenté mon univers d’adolescent et certainement celui d’adulte. Les descriptions que je fais par exemple de ce que voient les pilotes, à travers la vitre du cockpit, lors du passage en vitesse supraluminique, sont tirées des images gravées dans ma mémoire lors du visionnage du film. Mais l’influence de Star Wars dans La Fleur de Dieu reste, selon moi, anecdotique. Celle d’un Bilal ou d’un Bourgeon (le cycle de Cyann en particulier) demeurent essentielles tant avec leur dessin, leur univers qu’avec l’humour des dialogues.
AMI : Un de vos personnages principaux, maître Kobayashi, est à la fois moine shintô et frère musulman… Comment est-ce possible ?
JMR : Pourquoi cela ne le serait-il pas ? Je me souviens d’avoir vu une fois une émission de télévision montrant comment les croyants, à travers le monde, vivaient au quotidien leur foi. Je me souviens d’avoir vu qu’en Indonésie, sur le petit autel domestique qu’abrite chaque maison, se côtoyaient, au milieu des fumées d’encens, un Jésus sur un crucifix, un Coran et le portrait d’un saint soufi local, d’un Bouddha obèse et doré, de portraits de Brahmâ, Vishnu et Shiva et que les habitants de ces maisons honoraient tous les rites et rituels de ces religions pour s’assurer d’un maximum de « protection » divine. J’ai toujours considéré que les religions étaient toutes égales dans ce qu’elles avaient d’essentiel, à savoir les visions du monde qu’elles proposent, les règles de vie qu’elles établissent pour permettre le vivre ensemble, les réponses qu’elles avancent pour expliquer les grands mystères de l’existence humaine. Elles sont pour moi tellement égales que le monothéisme ne me paraît pas forcément être l’aboutissement de la pensée religieuse et sacrée de l’Homme et que l’animisme ne me paraît pas moins digne d’intérêt que le monothéisme. D’ailleurs, maître Kobayashi est d’abord musulman soufi avant de devenir moine shintô et il ne vit pas cela comme une régression ou une apostasie. Et dans le tome 2, on apprend qu’il a été également initié à une religion animiste de Terre Primale… mais ça, je laisse le soin aux lectrices/lecteurs de le découvrir.
J’ai toujours considéré que les religions étaient toutes égales dans ce qu’elles avaient d’essentiel, à savoir les visions du monde qu’elles proposent, les règles de vie qu’elles établissent pour permettre le vivre ensemble, les réponses qu’elles avancent pour expliquer les grands mystères de l’existence humaine.
AMI : Le roman s’ouvre sur une scène de pur sense of wonder : un énigmatique enfant gravit un arbre de plusieurs milliers de mètres d’altitude au sommet duquel se trouve un désert, dans lequel pousse la Fleur de Dieu. Parlez-nous un peu de cette forêt biominérale de Sor Ivanyia et de cette Fleur aux innombrables vertus…
JMR : C’est difficile d’en parler sans révéler trop de choses sur les tomes 2 et 3. Dans mon imagination, Sor’Ivanyia est une planète tellurique qui abrite la vie sous une multitude formes. La plus impressionnante est l’espèce végétale chlorophyllienne Koldisia, Quand l’Homme débarque sur cette planète, certains individus sont âgés de plus de deux cent mille ans, atteignent plus de trois mille cinq cents mètres d’altitude et abritent sur toute leur hauteur divers écosystèmes adaptés aux conditions locales. Mais certains d’entre eux ont été pétrifié par une violente éruption volcanique intervenue deux cent cinquante millions d’années avant l’arrivée de l’Homme. Ceux-là, atteignaient alors des altitudes trois fois supérieures, dépassant parfois les dix mille mètres. Avec le temps, les ramures supérieures se sont effondrées sur celles d’en dessous. Les débris, sous l’effet de l’érosion sont devenus du sable et ont fini par constituer au sommet de ces arbres pétrifiés et amputés les Déserts Suspendus, à plus de trois mille mètres de la surface du sol. Au milieu de ces déserts, poussent la Fleur de Dieu, la Purpurea Llrajjhia. Je ne vais pas parler des relations trophiques qui unissent la Fleur de Dieu au Koldisia ni lister ses effets, il faut avancer dans la trilogie pour le découvrir mais je peux déjà dire que cette espèce constitue pour les scientifiques un dilemme : ils ne peuvent se mettre d’accord pour savoir si elle appartient au règne végétal ou minéral et elle contient dans ses tissus plus de dix-huit mille molécules qui chacune trouve sa place dans la prophylaxie humaine. Comment et pourquoi une espèce distante de plusieurs milliers d’années-lumière de la Terre peut être à ce point faite pour soigner « l’Hemme » et à ce point diviser les interprétations quant à sa nature même ? C’est une des questions auxquelles la trilogie de La Fleur de Dieu tente de répondre.
Les religions m’ont toujours fasciné comme objet d’étude tant dans les valeurs essentielles qui leur sont propres mais aussi dans les manifestations de mysticisme qui les accompagnent.
AMI : Il est beaucoup question de religions dans votre fresque spatiale, vous y décrivez leur évolution sur plus de 7000 ans. Et vous vous dîtes athée, n’y-a-t-il pas là une sorte de paradoxe ?
JMR : Je me dis athée mais c’est un abus, une facilité de langage. Je me dirais plutôt « humanystique » au sens où je pense que si il y a Dieu, il est dans « l’Hemme », dans cette meilleure part de nous-même qui s’abrite en chacun et chacune et qui nous pousse à donner le meilleur de nous-même plutôt que le pire. Je ne suis tellement pas athée que je me suis juré un jour, alors que j’avais une vingtaine d’années, de me rendre, pour tenter de communier avec les croyants et ressentir un peu de cette ferveur mystique, sur tous les principaux lieux saints de l’histoire de l’Homme, de Saint Jacques de Compostelle à Lhassa, de la Mecque à Bénarès, de Ayers Rock au Macchu Picchu, de Stonehenge à Jérusalem, de l’île de Pâques au Mont Fuji… cela reste encore un de mes rêves à réaliser. Et puis mon « athéisme » est tout relatif et contradictoire, j’ai été baptisé selon le rite catholique, je me suis converti à l’Islam sans pouvoir me dire musulman car je ne pratique pas assez les cinq Piliers, mais j’avoue un intérêt tout particulier pour le soufisme et ses œuvres mystiques, une proximité de pensée avec les anarchistes, le sentiment quotidien d’être »connecté » avec la Vie qui m’entoure…. Et dans tous les cas, les religions m’ont toujours fasciné comme objet d’étude tant dans les valeurs essentielles qui leur sont propres mais aussi dans les manifestations de mysticisme qui les accompagnent.
AMI : Quel est votre dernier coup de cœur en science-fiction ?
JMR : Je ne lis plus beaucoup de SF. Néanmoins, Alain Damasio est pour moi une belle découverte. La lecture (et maintes relectures) de La Horde du Contrevent, de la Zone du Dehors et de ses nouvelles ont été pour moi une grande expérience littéraire. J’aime son écriture et partage les analyses qui sous-tendent ses univers.
Entretien réalisé par Gilles Dumay.
La Fleur de Dieu, T.1 arrivera en librairies le 29 mai 2019,
pour en savoir plus sur ce roman, c’est par ici!